Il y a quelques semaines j’ai fait la connaissance de Fanny, une jeune femme de 35 ans , non voyante et maman de 2 enfants. De temps en temps elle propose de se réunir chez elle pour réaliser un gâteau les yeux fermés. Se mettre quelques instants dans sa peau je trouvais ça très intéressant et j’avais envie de vivre cette expérience. C’est après mon don du sang que je me suis rendue dans sa maison avec 2 autres personnes et une enfant de 9 ans.
J’étais assez intriguée de la tournure que ça allait prendre et je m’étais imaginée l’état de sa cuisine après… La pauvre, on allait lui saloper sa cuisine avec de la farine partout, du chocolat fondu sur la table et des saladiers pétés par terre…. Et finalement non, c’était pas si Beyrouth que ça!
Parée de mon tablier -indispensable- Fanny nous a tendu un linge pour qu’on se bande les yeux. Avant j’avais bien pris la peine de ‘photographier’ dans ma tête où étaient disposés mes ingrédients et mes plats. A partir de maintenant j’ai fait totalement confiance à la voix de Fanny qui nous a guidés tout le long. Et j’ai fait une totale confiance à mes mains aussi (et moi qui suis dotée de deux mains gauches je vous raconte pas comment je flippais! ).
On fait comment pour casser des œufs et séparer le blanc des jaunes quand on ne voit pas? Et bien on se met au dessus d’un saladier, on casse l’œuf et on le fait tomber au creux de sa main, on écarte un peu les doigts, légèrement et le blanc va glisser tout doucement pour tomber dans le saladier. Puis on dépose le jaune, resté dans la main dans l’autre saladier! Et si il reste des coquilles? Et bien on s’en apercevra quand on le mangera!! Non je plaisante il faut toucher, effleurer, sentir avec ses doigts…. encore et encore. Ensuite pour monter les blancs en neige il a fallu se déplacer vers le plan de travail. Une fois de plus pour se déplacer quand on a perdu la vue il faut toucher les meubles, essayer de ‘mémoriser’ son chemin. Heureusement que Fanny était là parce que je partais à l’autre bout de la pièce! (Je n’arrive déjà pas à me repérer les yeux ouverts alors là, avec les yeux bandés, ça aurait pu être folklo!) .
Ensuite il a fallu peser le sucre et la farine, et c’est là qu’intervient la balance électronique parlante qui dit même bonjour! ’48 grammes’ ’67 grammes’ ‘129 grammes’ ah mince j’ai eu la main lourde il faut que j’en remette dans le paquet en essayant de ne pas en mettre à côté! Il a fallu également faire fondre le chocolat sur la plaque à induction, et là heureusement que Fanny était là une fois de plus, car j’ai été incapable de sentir avec mon index le petit liseré qui permet de reconnaitre les feux. J’avais beau changer de doigt, et bien je n’ai pas senti le relief de la plaque. Comment on verse sa préparation dans le plat sans tout mettre sur la table? Et bien on touche, encore et encore, on met les doigts dans la pâte, on essaie de racler son plat au maximum aussi tout en sachant qu’il en restera quand même au fond! Haaan mais j’ai oublié ma cuillère en bois à côté de la plaque à induction!! Ah non en fait elle est là, devant moi, dans ma casserole! Pour verser dans son plat il faut faire attention également, bien étaler, bien homogénéiser afin que la pâte aille dans tous les recoins pour ne pas qu’il y ait de trous dans la pâte. (je n’ai pas bien réussi il y avait un trou sous mon gâteau!!).
On a dû mettre 2 heures pour faire le gâteau alors que Fanny met 10 minutes à peine!! Voilà le moment d’ouvrir les yeux, mais attention, deux heures dans le noir c’est assez violent alors après avoir retiré notre linge des yeux il faut les gardés femrés pendant un petit moment. Quelques minutes où l’on doit réhabituer nos yeux à la lumière. Alors? Est ce qu’on a saccagé la cuisine de Fanny? Est ce qu’on est recouverts de chocolat? Est ce que la pâte n’était finalement pas dans le plat à gâteau mais sur nos pompes plutôt?
Hannnn mais pourquoi il reste de la farine là, dans le bol sur la table??! Qui n’a pas versé la farine dans son saladier? Et non, ça aurait pu….. mais c’était pas moi !!
Par contre j’avais plein de chocolat sur les bras et je ne vous raconte pas l’état de mon tablier! C’est une sacrée expérience de faire un gâteau les yeux bandés. Très déstabilisant, frustrant des fois, mais très enrichissant, j’ai adoré! Après, autour d’un verre nous avons pas mal parlé du quotidien de Fanny, des difficultés qu’elle rencontre, elle est maman solo de 2 enfants, et elle nous a raconté des dizaines d’anecdotes, pas toutes sympathiques et c’est là qu’on se rend compte que les gens sont assez cruels avec les personnes porteuses d ‘un handicap.